Le changement en psychothérapie
7 OCTOBRE 2018 MARTIN BELZILE
Comment change-t-on?
Je me souviens de ma première année de doctorat en psychologie. Nous avions posé une question à une de nos enseignantes, en première année de doctorat en psychologie : « Qu’est-ce qui cause le changement, dans une psychothérapie? » Je ne pourrais pas vous rapporter ici quelle fut sa réponse. J’ai oublié comment elle l’avait articulée. Mais je me souviens être demeuré déçu et intrigué.
Déçu du fait qu’on n’arrive pas à donner une réponse claire à cette question qui est au cœur de la profession que je tentais alors de développer. Comment se faisait-il qu’on ne puisse pas nous expliquer clairement ce qui a de l’effet, ce qui cause un changement? Il me semblait que la réponse à cette question devait être claire pour n’importe quel psychologue, débutant ou chevronné.
Et intrigué du fait qu’elle semblait avoir tant de mal à formuler une réponse simple. Cette psychologue que je respectais hautement et qui avait aidé des centaines de clients à se sentir mieux en psychothérapie avec elle. Comme si, malgré toutes ses compétences, elle n’était pas en mesure de nous dire clairement quoi du processus de psychothérapie permettait à la personne d’aller mieux.
On nous apprenait avec beaucoup de précisions et de rigueur le processus d’évaluation. J’ai appris comment questionner le client, quoi faire avec les réponses, comment les analyser et comprendre le client, ses difficultés, ses dynamiques, ses ressources… Mais l’intervention et surtout les principes derrière l’intervention demeuraient un mystère.
À travers ma formation de psychologue, je suis demeuré avec cette question en tête. Et jusqu’à maintenant, j’aurais du mal à dire que j’y ai trouvé une réponse pleinement satisfaisante. Différentes lectures m’ont nourri dans cette réflexion. Mes superviseurs m’ont inspiré. Mes propres expériences de psychothérapeute m’ont permis de voir certains changements.
Je vous propose de m’accompagner. Dans cet article, je tente une réflexion sur le processus de changement, en contexte de traitement psychologique. Vos commentaires sont les bienvenus!
Qu’est-ce qui fait que l’on change? Cette question est au cœur des querelles entre différentes écoles de pensée. Je tente ici de résumer les thèmes principaux véhiculés par les différentes théories.
Une lecture analytique classique suggère que le changement s’effectue par la prise de conscience de mécanismes inconscients. Comprendre pour quelles raisons on agit. Réaliser à la fois les limites du libre-arbitre et à la fois agrandir la portée de ce même libre-arbitre. Découvrir que l’on se défend de menaces, réelles, imaginaires ou archaïques avec des mécanismes plus ou moins puissants, plus ou moins adaptés à la situation actuelle. C’est ensuite une perlaboration : encore encore, il faudra remettre à jour ses mécanismes de défense, les voir se déployer et y poser un regard critique.
La théorie freudienne veut qu’une compréhension de plus en plus grande de ses mécanismes en diminue la rigidité. Et c’est bien la rigidité qui serait problématique, dans les mécanismes de défense. Ces moyens d’adaptation qui seraient utilisés dans des contextes non appropriés. Le changement serait une plus grande souplesse dans les réactions. Réactions aux événements, aux autres et à soi-même.
Prenons l’exemple d’un patient qui aurait pour habitude de refouler son agressivité (p. ex., ne pas ressentir de colère). Une des conséquences les plus fâcheuses de cette habitude serait au plan social. Pour éviter les conflits, ce patient ne manifestera pas ses besoins avec affirmation. Ce qui l’amènera tôt ou tard à se sentir exploité par les autres. Une prise de conscience de l’existence et de la manifestation de ce mécanisme de défense représente la première étape afin de s’en libérer. Cliquez sur le lien suivant pour en savoir plus sur la gestion de la colère.
La psychanalyse, c’est peut-être aussi voir le changement
comme une résolution du transfert. Le transfert pourrait être
défini comme
la confusion que le patient démontre entre la
relation réelle entre le thérapeute et lui-même et une
idéalisation ou une dévaluation du thérapeute qui s’appuie
sur les expériences antérieures. Dans ce contexte, le patient se
met peu à peu à traiter le thérapeute comme une figure importante
du passé. Jean Laplanche (1997) propose cette interaction fictive
pour illustrer le transfert :
Analyste: Vous me prenez pour un autre, je ne suis pas celui que vous croyez.
Analysé: Mais justement, l’autre, celui de la relation originaire, n’était pas celui que je croyais. Et j’ai donc bien raison de vous prendre pour un autre.
Laplanche, J. (1997). Le primat de l’autre en psychanalyse. Paris, France: Flammarion.
Ce pauvre analyste voudrait peut-être convaincre son patient qu’il fait fausse route de le prendre pour un autre. Cependant, le transfert peut être le plus important levier de changement, en psychanalyse classique. En fait, en prenant conscience petit à petit des caractéristiques que le patient projette sur son thérapeute, il peut peu à peu réaliser sa manière d’être en relation et quel rôle il donne aux figures d’autorité (autorité réelle ou imaginée). La résolution du transfert pourrait donc être la capacité de voir le thérapeute (et par effet d’entraînement les autres personnes dans la vie du patient) pour qui elles sont. Et de se libérer des contraintes que l’on s’imposait inconsciemment en s’imaginant en présence de contraintes du passé.
Il est permis de voir le changement en psychotherapie de manière plus concrète. Le modèle comportementaliste suggère que ce serait par l’apprentissage de nouveaux comportements que l’on change. De complexes comportements seraient modifiés par des changements à plus petite échelle. Comme le propose Skinner, un individu apprend en imitant les comportements des autres. De plus les conséquences de ce comportement, qu’elles soient positives ou négatives, influenceront la probabilité plus ou moins grande que ce comportement soit répété dans le futur.
Dans un contexte thérapeutique, une personne est amenée à changer si elle apprend des comportements plus adaptés. Par exemple, un client qui vit une dépression pourrait développer, au cours d’une séance de thérapie, des stratégies afin de se remettre en marche, recommencer à poser les gestes qui lui permettront de se sentir bien, de développer et d’entretenir des relations saines, prendre soin de lui-même, revoir des amis, etc. Ces gestes simples appris ou réappris permettront au client de se sentir mieux avec lui-même.
Une autre application du modèle comportementaliste serait le conditionnement « classique ». Vous avez presque tous entendu parler du chien de Pavlov. Un bref rappel : Pavlov sonnait une cloche avant de nourrir son chien. Lorsque la nourriture arrivait, le chien salivait d’appétit. Pavlov s’assura de sonner une cloche avant chaque repas. Le chien en vint à associer la cloche à la nourriture. Plus tard, le chien se mit à saliver en entendant la cloche et ce, même lorsqu’il n’y avait pas de nourriture.
Beaucoup de peurs ont été apprises de cette façon. Par exemple (restons avec les chiens), un client qui, enfant, a été mordu par un chien pourrait associer tous les chiens à la douleur qu’il a ressentie lors de la morsure et ainsi développer une peur de tous les chiens. En psychothérapie comportementale, il serait possible de « briser » l’association entre la douleur et la présence d’un chien en pratiquant ce qu’on appelle l’« extinction », soit la dissociation entre le stimulus (la vue ou le contact avec un chien) et la douleur. On déterminera une marche à suivre pour permettre au client de s’exposer graduellement au stimulus anxiogène afin d’éteindre la réponse apprise (c.-à-d., la fuite ou tout autre comportement associé à la crainte d’être mordu par le chien).
Cet exemple simple basé sur l’exposition et l’extinction illustre le principe autour duquel s’articulent certains traitements d’état de stress post-traumatique (ÉSPT) ou de phobies.
Par ailleurs, d’autres théories comportementalistes (pour des raisons de simplicité, j’inclus l’ensemble des théories cognitivo-comportementales sous le terme « comportementalisme ») mettent surtout l’accent sur l’effet qu’ont les émotions, les pensées et l’environnement sur les comportements d’une personne. Ainsi, s’il est possible de modifier les pensées ou les émotions d’un client, il est possible de changer son comportement.
De manière plus concrète, on considère que certains troubles rencontrés par les clients sont dus à des perceptions ou à des interprétations erronées de certaines situations. Ces perceptions ou interprétations erronées entraînent des émotions désagréables. Celles-ci suscitent chez le patient des comportements qui entretiennent le trouble. Ainsi, la forme classique de thérapie cognitive vise à aider le client à identifier ses manières de penser erronées et à les adapter à la réalité. C’est ainsi que le changement thérapeutique se produit.
En réaction à la vision limitée de l’être humain que proposaient les approches psychanalytique et comportementaliste, certains psychologues ont proposé que le changement vient de lui-même, si on fournit au client en thérapie les conditions nécessaires pour que le changement se produise. Rogers (1951) a défini ces trois conditions :
Un regard positif inconditionnel : le client a besoin de sentir que la considération et l’aide que lui apporte le thérapeute ne sont pas influencées par les comportements du client ou par ce qu’il confie au thérapeute. De cette manière, le client ne se sentira pas jugé et se sentira libre d’exprimer ce qu’il vit.
Rogers, C. (1951). Client-centered psychotherapy. Boston: Houghton-Mifflin.
Authenticité : le thérapeute doit se montrer authentique avec le client, être confortable de lui présenter ce qu’il pense et ce qu’il ressent. De cette manière, le client peut faire confiance au thérapeute et celui-ci agit comme modèle à imiter.
Empathie : le thérapeute doit d’une part comprendre les idées qui sont communiquées et les émotions qui sont vécues par le client. Et il doit lui communiquer cette compréhension. De cette manière, le client peut mieux se voir et mieux se comprendre.
La théorie humaniste considère que l’humain porte en lui tout ce qu’il faut pour se développer, s’actualiser, répondre à ses différents besoins. Ce sont principalement des événements qui le détournent de sa vraie nature qui bloquent ce processus de développement. Et ce serait à travers une relation thérapeutique qui réunit les trois conditions citées ci-dessus que le client peut redémarrer son processus d’actualisation et répondre à ses besoins.
Après avoir succinctement décrit les trois principales approches à la psychothérapie et les mécanismes de changement qu’elles proposent, je vous propose maintenant un regard plus ancré dans mes expériences de pratique.
Comme je mentionnais plus tôt dans cet article, j’ai été inspiré par certains superviseurs, au cours de ma formation. Leurs perceptions sur ce qu’est le changement en psychotherapie étaient teintées de leurs propres formations, mais également habitées de leurs expériences auprès de centaines de clients.
« Go with the resistance first », nous rappelait souvent une superviseure que j’ai eue au début de ma formation. Empruntée à un de ses propres superviseurs, cette consigne renvoie à une théorie classique de la pratique de la psychanalyse, à la Greenson.
Cette superviseure aimait à nous rappeler que chaque mot de cette consigne renfermait en lui-même une directive. Un ensemble de directives que nous pourrions résumer par : « le changement s’effectuera par ce qui se passe dans la relation réelle. Car la relation réelle évoque pour le patient des défenses du passé qui le rattachent à ce dernier et restreignent son habileté à vivre la relation actuelle pour ce qu’elle est réellement ».
Dans cette optique, l’hypothèse de travail pourrait être que la relation que le patient apporte à la relation (en supposant que le thérapeute parvient à se réserver d’apporter à la relation ses propres enjeux) correspond à ce qu’il apportera à toutes relations. Et dans ce sens, de commencer par les difficultés relationnelles (au sens large du terme « difficulté ») que le patient manifeste en thérapie, avant de se concentrer sur le contenu, permettrait d’améliorer la compréhension qu’a le patient de ce qu’il apporte en relation et d’augmenter sa liberté.
J’ai aussi été influencé dans ma compréhension du changement par un psychologue qui prônait davantage une approche pragmatique. Ce superviseur m’apparaissait très habile et très rapide à identifier avec le patient ce qui pouvait être une solution aux problèmes qu’il amenait en thérapie. Et une fois ces obstacles identifiés, le patient et le psychologue travaillaient ensemble. Ils cherchaient les difficultés qui pourraient empêcher le patient de mettre en pratique les solutions trouvées en début de séance.
Cette approche a pour principal avantage d’être beaucoup plus facilement compréhensible pour les patients. En effet, il est certainement plus confortable, voire rassurant, de travailler directement sur les problèmes pour lesquels on consulte que de rencontrer un psychologue neutre qui ne fait que refléter ou analyser ce qui se passe en thérapie. Et elle peut également apporter des solutions satisfaisantes plus rapidement. Enfin, le client peut apprécier le partenariat qu’il développe avec le psychothérapeute pour trouver des solutions. Le client sent qu’il fait partie de la démarche et puise à même ses ressources pour résoudre ses difficultés.
J’ai eu pour superviseur un psychologue qui considérait que le changement passait essentiellement par la prise de conscience. Prendre conscience de ces différents « centres de contrôle » qui s’activent de façon autonome, les voir prendre le pas sur le libre-arbitre, en connaître les déclencheurs; ce serait l’essentiel du changement qui peut être réalisé en psychothérapie.
L’autre composante essentielle à cette approche était la curiosité. On pourrait y voir une influence humaniste : un intérêt réel et authentique qui se manifeste par la curiosité pour le client pourrait amener celui-ci à s’intéresser à son monde intérieur; un ingrédient essentiel à la prise de conscience décrite ci-dessus. La curiosité agirait comme agent du changement.
Pour écrire cet article, j’ai demandé à quelques collègues de me décrire ce que pouvait être le changement en thérapie. Les réponses ont été inspirantes.
On considérait d’abord que la relation thérapeutique était le véhicule le plus important du changement. On précisait également que la relation devait être éclairée par une connaissance de la problématique que présente le client. Les bonnes intentions et les habiletés sociales ne sont pas suffisantes.
Certaines psychologues ont tenu à nuancer le rôle que doit représenter le changement dans le cadre d’une thérapie. En effet, qu’est-ce que le changement et à qui revient le rôle de définir ce que sera le changement lors d’une psychothérapie? Ces questions ne semblent pas présenter de réponses universelles. Ou encore, est-ce le changement représente l’élément central d’une psychothérapie?
J’ai au cours de ma pratique continué à me questionner sur la nature et l’origine du changement avec mes clients. Ma perception a continué de se modifier à mesure que je pratique la psychothérapie. Et à mesure que je constate que les clients changent.
Je crois que le changement est souvent un effet secondaire de la psychothérapie. C’est une opinion que j’ai développée assez tôt dans ma pratique et que j’entretiens encore. En ça je rejoins certaines collègues qui questionnaient la centralité à accorder au changement. Être vu dans une relation. Être reflété dans une relation. Se voir aller et mieux se comprendre, ce sont les germes du changement. Il s’agit d’une augmentation de liberté, de la possibilité de choisir entre laisser les automatismes développés dans le passé dicter les comportements futurs ou d’agir de manière actuelle, en tenant compte de la réalité contemporaine.
Je dis habituellement à mes nouveaux patients que je souhaite comprendre les difficultés avec lesquelles ils viennent en thérapie. Puis, je les invite à partager avec moi ce qui leur vient à l’esprit, en se censurant le moins possible. En tentant de faire des liens entre ce qui est dit d’une séance à l’autre et en tenant compte de ce qui se passe dans la relation thérapeutique, le patient comprend petit à petit ce qui l’amène à répéter certains gestes et à revivre certaines situations frustrantes. Une compréhension approfondie de ses dynamiques internes est selon moi le moteur le plus puissant et le plus important du changement qui a lieu chez une personne en traitement psychologique.
Je vous invite à visiter mon site web, sur la page psychothérapie individuelle. J’y élabore brièvement ce que représente une psychothérapie individuelle et comment le changement peut être compris. Je vous invite à y jeter un œil. Et surtout, j’apprécierais vos commentaires à la fin de cet article.
Revenons en terminant à l’enseignante qui ne nous avait pas vraiment répondu. Je crois aujourd’hui qu’elle ne pouvait pas nous offrir de réponse qui n’aurait pas été teintée de sa propre opinion. Cette question renvoie au cœur de comment ont conçoit la psychothérapie.De comment on se représente le rôle du psychothérapeute. En tant que formatrice, j’aime à croire qu’elle souhaitait nous laisser le plaisir et/ou l’angoisse de découvrir par nous-mêmes une réponse à cette question.
Selon vous, client, patient ou thérapeute, qu’est-ce que le changement en psychothérapie?
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